Chapitre 20 Un vrai mec

illustration: yukiryuuzetsu

Chapitre XX.

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Un vrai mec.

Gérard avait garé le tracteur rue du moulin, il y avait effectivement un reste, un mur en arc de cercle sauvé de l’écroulement complet par le lierre et quelques arbustes qui y poussaient. La mairie en avait fait une petite aire de repos en terre rouge avec deux bancs et des bacs à fleurs. Ils étaient quatre, deux sur chaque banc, une boite de bière à la main, fumant et jouant à faire tourner les masques sur un doigt avec l’élastique. On remarquait d’abord Christian à cause de son pantalon jaune fluo avec des reflets oranges, il avait une tête un peu rouge et des joues flasques mais Adrien était le chef ! Le plus âgé et le plus grand, le visage gris avec des yeux brillants qui s’agitaient dans leurs orbites. Une grosse ceinture à boucle serrait le pantalon de tissu côtelé. Il portait une veste vert de gris avec des poches à fermeture éclair.
– « Hé Lebrun ! Viens boire un coup ! » Gérard s’approcha, traînant ses grosses chaussures sur le pavé et se frottant les mains noires de la graisse du volant l’une contre l’autre, il s’en était d’ailleurs mis sur le bout du nez en se grattant.
– « J’ai pas beaucoup le temps, je suis venu chercher la sarcleuse, ils nous l’ont ressoudée à la carrosserie, on est déjà en retard pour les semences. »
– « Assied toi, j’te dis, bois un coup ! » Adrien se leva et lui tendit une boite qu’il avait sortie d’un grand sac plastique de supermarché, lui donna une grande tape dans le dos, une habitude rodée jadis au collège, école où Gérard avait appris, ce qu’il savait déjà, que son père n’était pas son père, que sa mère n’était pas sa mère, qu’il était moins que les autres et, parmi les autres, moins que Adrien et Adrien, lui, se savait supérieur, il était aussi plus grand faut dire et parlait d’égal à égal avec les jeunes profs débutants et ils méritaient bien leurs noms parce que Adrien en avait buté un de débutants, en tous tous cas ça se disait. Les trois autres sur les bancs, appuyés des coudes sur leurs genoux et la canette serrée des deux mains, avait levé les yeux et ricanaient sans savoir pourquoi, parce que on ricanait toujours quand Adrien parlait, une façon d’approuver ce qu’il disait et de se mettre à sa hauteur. Gérard ricana aussi en hoquetant comme un bossu enroué et pris la bière, de la mousse coula sur ses mains huileuses en tirant sur la languette en fer blanc et il s’en mit encore sur le menton et dans le col à la première rasade.
– « Alors Lebrun toujours à traire les vaques à merde des Dutertre ? »
– « Ben ouÈ ! C’est mieux que rien non ? » Gérard se passa la manche de sa blouse de travail sur la bouche et s’en maquilla le tour de la même crème que pour le nez et but une deuxième gorgée.
– « Tiens, assied toi, il y a de la place là ! » Adrien le poussa d’une main sur la poitrine vers le bac à fleur et Gérard y tomba assis le cul dans la terre et les genoux plus haut à cause de la bordure en bois, il du se retenir de la main libre en arrière pour ne pas s’allonger tandis que de la mousse giclait hors de la boite, des tulipes restées debout balançaient leur tête entre ses cuisses. Adrien tira une cigarette d’un paquet pour la faire dépasser et la passa sous le nez de l’autre :
– « T’es mignon comme ça Gérard! Tiens, fume ! »
– « Je fume pas ! »
– « Mais si tu fumes ! » Il lui enfonça la tige entre les lèvres et approcha le briquet allumé. Gérard aspira sur les injonctions de Adrien, toussa, but une gorgée de bière, retoussa, cracha et fuma encore.
– « Voilà, tu seras un homme mon gars ! Il te manque encore la fille avec les pipes et tu seras complet. Le problème c’est qu’il y a carence dans le coin, on en voit de moins en moins, on est obligé de se prendre des mecs ! Heureusement on en trouve qui aiment ça, hein Robert ? » L’un des trois autres leva la tête et regarda Adrien.
– « Alors Robert, réponds ! Dis le ! » L’autre hocha une paire de fois la tête.
– « Mieux que ça Robert ! Dis le « Oui, J’aime ça ! » » Et l’autre répondit.
-« Oui ! J’aime ça ! » Adrien était debout devant Gérard toujours assis dans les fleurs, sa braguette à hauteur de nez, il le tira légèrement vers le haut par le talon d’une oreille, ce qui obligeait à lever le menton vers le haut:
– « Tu entends Gérard ? Robert il aime ça ! Tu veux que je t’apprenne aussi à faire la fille ? Faute de filles on prend des merles ! » Il rigolait et il relâcha Gérard pour se rasseoir sur le banc.
– « Alors, qu’est-ce que tu fais de beau à la Malcense ? Toujours à nettoyer du brun ? Tu portes bien ton nom, hein Lebrun ! » Il avait sorti de la poche un couteau à cran d’arrêt avec un manche en corne et éjecta la lame de dix doigts de longueur, il y eu un éclair, Adrien s’amusa à jouer du reflet du couteau avec le soleil en le promenant sur les yeux des autres qui, éblouis, baissaient les yeux à tour de rôle.
– « On prépare la terre aussi et on range le foin ! On a vidé toute la grange hier avec le père Dutertre, il avait vu comme de la fumée et il avait peur que ça prenne, il y a des fois des gens de la ville qui vont au bois Madeleine en voiture avec des filles et en rentrant ils jettent leurs mégots par la fenêtre! Mais des filles, en ce moment on en a assez, cinq elles sont avec la couturière et avec des belles fesses, je les ai vu pédaler en jupette il y a quelques jours pour porter l’échelle à La Maison du Chêne et j’étais aux premières loges sur la remorque, je regardais dedans et elles me souriaient en sortant leur langue, je vais les voir le soir, une chaque soir ! » Adrien l’écoutait un peu rouge et le menton en avant.
– « Tu écris des livres maintenant Gérard, des romans ? C’est maman Dutertre qui te raconte des histoires pareilles, le soir, avant de faire dodo ? La belle au bois dormant ? C’est pas beau Gérard de mentir ? »
– « J’mens pas j’te dis ! Elles sont cinq là-bas et elles font tout c’que j’leur dis ! »
– « Raconte un peu Gérard, elle sont comment ces filles ? Et c’est qui cette couturière ? tu veux dire la Lainier, la fille de sa mère ? »
– « J’sais pas moi! C’est la mère Dutertre qui l’appelle comme ça mais le père il dit toujours la petite reine, mais c’est pas la plus belle, avec ses cheveux raides on dirait un garçon, elle marche comme eux en plus et elle met des pantalons. Mais il y a une brune et une jolie bonde, elle sont même venues à la maison.»
– «  Y’aurait pas des fois une petite frisée avec des cheveux noirs ? »
– « Si, si, il y en a une comme ça, c’est la brune, elle est frisée, elle était là pour l’échelle avec la blonde, c’est pour l’échelle qu’elles sont venues à la maison en vélo … »
– « Hé les gars, vous entendez ? Ça pourrait être la petite du parc ! On va la faire grimper à l’échelle la frisée ! » Les autres ricanèrent de nouveau mais ils auraient pu tousser aussi. Adrien tourna la tête vers eux en signe d’approbation et reprit:
– «Et les trois autres ? »
– «Les trois autres ? »
– «Oui les trois autres ! Tu m’as bien dit qu’elles sont cinq ? »
– «Il y a une petite avec des longs cheveux blonds, celle qui était là à la ferme avec la brune pour l’échelle, elle sourit tout le temps et elle a pas l’air farouche. »
– «Tu nous l’a déjà dit ça Gérard! Les deux autres ? »
– «J’sais pas moi, je les ai vues de loin. »
– «Dis donc Gérard, tu m’as dit que tu vas les voir tous les soirs et qu’elles tirent la langue ? Tu sais ce qu’on fait aux menteurs Gérard ? On la leur coupe et pas que la langue. »
Adrien agita son couteau devant Gérard, passa la pointe sur le milieu de sa veste, fit sauter un bouton et fit glisser la lame entre les cuisses de Gérard qui lâcha sa canette; elle se vida dans la terre non sans avoir éclaboussé l’ourlet des jambes de pantalons de Adrien.
– «Vous avez vu vous autres, il ment, il gâche la bière et cochonne mes habits du dimanche, faudrait lui apprendre les bonnes manières, t’as oublié mes leçons du collège Gérard ? Tu veux une piqûre ? Il te faudrait un rappel je crois. Lève toi Gérard  ! »
Gérard s’extirpa du bac à fleurs et Adrien le saisit à la ceinture, en tira l’anneau et la fit glisser hors des passants, il en fit une boucle dans laquelle il passa le couteau et la coupa en deux morceaux qu’il donna à Gérard.
– « Mets toi ça dans les poches! Alors Gérard, les filles c’est tout mensonge ? »
Gérard baissa les yeux en saisissant les deux lambeaux de cuir.
– «J’ai pas menti pour les filles, elles sont vraiment cinq là-bas, sauf que le soir, je reste à la ferme et que souvent je dois encore faire rentrer les poules avant d’aller au lit. »
Adrien se tourna vers les autres:
– « Hé beh on va y faire un tour hein ? On va s’en occuper nous de tes poules. Qu’est-ce que vous en pensez vous autres ? Des filles ça change des mecs, hein Robert ? Même celles avec des pantalons, on va lui baisser le pantalon à la couturière, on va lui apprendre à faire la fille.» Il avait passé la main sur la joue de Robert en la caressant, pincé un peu l’oreille puis fouillé les cheveux en écartant les doigts et les agrippant, tiré lentement la tête en arrière et fourré l’index dans la bouche : « suce ! »
– « Gérard ! J’espère pour toi que tu n’as pas menti ! Attends nous à la Vierge du sentier aux anguilles à neuf heures, tu nous montreras le chemin ! Tu vas pas les garder pour toi tout seul hein les filles ? Si t’as menti c’est toi qui le fera, la fille, et on est quatre ! On est partageux, tu sais.»

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