Chapitre 19 Une affaire maritime

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Chapitre XIX.

Une affaire maritime

Marc faisait ses premiers pas à la Maritime. Delestrain lui avait montré son bureau : il était conseillé de nettoyer le matériel, pas seulement le clavier, l’écran et la souris mais aussi le disque dur et le dessus de la chaise.
– « Ne marche pas à pieds nus et surtout pas sur le tapis ! » On attendrait la semaine prochaine pour les sorties en mer.
– « Ah tiens ! Il y a une déposition à prendre cette après-midi, tu peux peut être commencer par ça : une jeune femme qui ramasse des algues pour les restaurants, les poissonniers et quelques fermiers. Elle a ses autorisations. Elle s’est fait agresser sur la plage de Vinghezelles. Tu peux t’en occuper ? » Ben oui, bien sûr qu’il pouvait s’en occuper Marc, il faudrait bien s’occuper de toutes façons. Il avait introduit la dame à quinze heures dans son bureau. Le genre de dames du coin mais encore jeune, pas la trentaine. Marc avait enlevé ses lunettes qu’il n’utilisait que pour lire et travailler et les avait posées sur le bureau. Il s’était levé pour la saluer et lui tendre une chaise. Elle portait une jupe assez lourde mais bien coupée qui s’arrêtait sous les genoux et on voyait une ligne rouge sur chaque mollet, la trace des bottes. Sûrement qu’elle avait fait un effort pour s’habiller, elle portait un chemisier blanc crème avec des dentelles discrètes sur l’ourlet des boutons de devant et un grand châle de laine grise et bleue sur les épaules, mais elle tenait en main un ciré jaune, au cas où.
Elle s’assit et tira le fichu de la tête cuite par la mer et le soleil et aussi le masque en tissu : elle avait un beau sourire pensa Marc. Une relation du port l’avait transportée à travers la zone presque déserte jusqu’au bureau des affaires. Elle avait un petit sac rectangulaire qu’elle avait vidé sur la table pour trouver sa carte d’identité et son inscription au registre, Yvette Dusquesnes, c’était son nom, Delestrain lui, avait déjà auditionné l’agresseur qui prétendait être l’agressé : elle avait un grand couteau et on ne l’avait jamais vu au village, lui il défendait l’environnement et d’ailleurs il avait présenté une liste aux dernières municipales, lui il était du coin et des immigrés de Calais on en voyait parfois jusque chez nous, « si on ne se défendait pas alors on sera immigré chez nous, vous comprenez. C’est de la légitime défense. »
– « Ah ! Et la main entre les cuisses c’est de la légitime défense ? » Lui avez demandé Delestrain, il y avait deux témoins.
– « Des étrangers ! Des belges !On l’entend à leur accent ! »
En attendant c’était la dame la plaignante et lui l’accusé, on lui demandait de ne pas s’éloigner de son domicile, mais de toutes façons avec le confinement … La dame ce qui l’embêtait surtout, c’était pas la main, elle en avait vu d’autres, c’était ses sacs d’algues perdus, une journée de travail, il y en avait bien pour vingt Euros et aujourd’hui elle ne pouvait pas travailler puisqu’elle était là. Peut être que le juge en plus de l’amende pénale jugerait d’une indemnisation, on pouvait l’espérer. La déposition terminée la dame rangea ses papiers et rassembla le fatras de ses objets éparpillés sur le bureau de Marc, en fit un petit tas et le fourra dans son sac, elle se remit le fichu sur les cheveux noirs coupés courts, son châle sur les épaules et, consultant le ciel par la fenêtre d’un œil météorologue, coucha le ciré en cape sur les épaules. Marc resta un moment sur sa chaise, les jambes tirées sous la table et les bras croisés, son téléphone vibra, c’était Hélène.
– « Marc, il faut aller chercher Pierre ! »
– « Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu sais où il est ? »
– « Pas vraiment, chez une copine pas loin de la côte ! »
– « Et ben tout va bien, chez une copine ! Tout est pour le mieux ! »
– « Non pas vraiment, ils ont joué à faire des vidéos, elles sont sur les réseaux et ça tourne mal » !
– « Du porno ? »
– « Non, un défilé de mode,je t’expliquerai, mais il faut trouver l’adresse de cette fille et aller le chercher ! »
– « Elle s’appelle comment ? »
– « Ils ne savent pas, ils disent tous Coco ! C’est une couturière. Elle habite dans le coin de Montaban.»
– « Qui ça ILS ? »
– « Daniel et Claire,des amis de Pierre, ils sont passés à la maison. »

Delestrain avait trouvé Marc dans son bureau les coudes sur la table et la tête dans les mains, il avait l’air d’avoir un problème le collègue, d’abord il n’avait plus de lunettes, la dame auditionnée les avait mises dans son sac en remballant son bric-à-brac et puis Marc avait parlé de son grand garçon et de sa fugue et Delestrain connaissait la musique, il en avait eu des gamins comme ça, comme moniteur de sport mais aussi dans l’armée, des jeunes gendarmes sortant de l’école, pas des durs, des forts en sport sentimentaux. Ils arrivent jeunes et beaux dans un costume tout neuf, ils sont fiers et ils pensent qu’on va les aimer et les admirer. Ils pensent que l’été ils vont surveiller des plages et sauver des baigneurs imprudents avec le bateau pneumatique à moteur. Et puis ils se retrouvent sur les routes, pas des départementales, des nationales embouteillées à sept heures du mat’, les accidents et le sang dans l’herbe des fossés encombrés de bouteilles plastique et de papiers gras et puis un jour ils marchent en rang comme des romains, un bouclier transparent à la main et casque de cosmonaute sur la tête, indifférents aux cris de haine. Et une nuit ça commence, on se retourne une fois dans le lit, et puis deux, vers trois heures on se fait une tisane en cuisine et la maman des gosses se lève aussi et demande :
« Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu es malade ? »
Oui, ça commence comme ça.
Il avait des relations Delestrain dans la Grande Maison depuis le temps et il allait le trouver son Pierre, en attendant il ferait mieux de rattraper la jeune dame, pour ses lunettes, il l’avait vu partir à pieds sur le quai. Une petite pluie très fine s’était mise à tomber avec la marée bientôt basse, ça s’arrangerait dans une heure ou deux mais pour l’instant le gris dominait encore que en haut les grosses chaussettes de laine sombre qui s’étiraient lentement comme débordant d’un sac à linge sale laissaient sortir du bleu par des trous. Marc dans sa 4L vit la dame au loin marchant sur la dalle craquelée et scintillante des gouttes d’eau et de la lumière changeante. Il était resté en uniforme. Il ralentit puis s’arrêta un peu devant la dame qui marchait tête haute en plissant les yeux contre la pluie, il sortit de la voiture et attendit :
– « Madame, vous voulez bien vérifier dans votre sac, vous avez pris mes lunettes sur mon bureau ! » La dame s’était arrêtée, étonnée. Elle regarda son sac et eu un geste pour l’ouvrir, puis bloqua le geste :
– « Il va pleuvoir dedans ! » En effet l’eau coulait sur le front de Marc et perlait sur les cils.
– « Montez dans la voiture ! » Ils s’assirent devant, la dame ôta le ciré qu’elle posa sur les genoux et renversa son sac dessus.
– « Elles sont là ! » dit Marc, je les vois à côté du petit paquet rose-bleu, là ! » La dame fixa l’endroit indiqué par le doigt de Marc, saisit les lunettes et lui tendit :
– « Vois là ! J’les a r’pécailles ! J’m’excuse ! » fit la dame en tirant la bouche d’un côté, « C’est heureux qu’vous l’ayez ravissé, c’est vos zis qui en auraient pati ! » Marc pensa qu’elle devait encore traverser toute la zone portuaire entre les hangars délabrés, il lui demanda si elle habitait loin.
– « Près des « Quilles en l’air, pour ça de l’air, on peut dire qu’on en a là-bas ! On voit la mer d’in haut et quint y fait bieau in peut r’luquer les Inglés qui pêquent ed l’aut’ costé.» Marc avait eu du plaisir au bureau à entendre son « parler », un peu comme celui de son père, il l’avait entendu, tout petit dans son quartier, et il avait répondu :
– « Ça fait une trotte ! J’va vous rallonger jusque là ! » Elle en fut toute retournée la dame, elle prit toute la demi-heure du trajet à remercier et en plus, être raccompagnée « à ch’maijon » par un « Jean d’armes », « Ça va causer d’un’l quartier ! ».
– « Vous permettez que’ j’mette min paletot derrière, je’n voudroie point machuquer m’bell quemiss, c’est celle pour aller al capelle ! Te comprin ? Te permets que j’te dise Te, hein ? » La dame elle expliquait à Marc que c’était une « quémiss » qu’elle tenait de sa mère, c’était un cadeau de noces, mais sa mère la mettait aussi à la procession du Quinze Août, c’était une couturière de Montaban qui l’avait faite, une amie de sa mère, elle l’appelait « La Reine » dans le quartier mais son nom c’était Irène, la pauvre avait été tuée par un camion sur la route des dunes entre Radinghen et Engrenaert mais sa fille avait repris l’affaire, « Atelier Cocoricomode », c’est elle qui lui avait fait la jupe, pour pas cher, elle avait apporté le tissu anglais que son homme avait eu par un ami de l’autre côté, ils en faisaient des manteaux là-bas pour la pluie, « parce que chez eux, y drach’ ed toudis » mais elle en avait fait une jupe et bien chaude contre le crachin de la mer.
Au retour Marc était entré directement chez Delestrain sans frapper :
– « Chef, ça vous dit quelque chose une couturière tuée il y a deux ans par un camion sur la route des dunes ? »
– « Marc, arrête de m’appeler chef ! L’an prochain je suis à la retraite ! Appelle moi « le vieux » ou « mon vieux », « Min fiu ! tiens, c’est plus affectueux.  Oui, bien sûr je m’en souviens, deux ans et demi ! »
– « Je crois que mon fils est chez elle, je veux dire chez sa fille, c’est elle qui a fait la jupe de la glaneuse d’algues, elle est sur Montaban. »
– « Je connais quelqu’un là-bas, je les appelle. »

*

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