Chapitre 25 Le farfadet et le galibot

illustrations:yukiryuuzetsu

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Chapitre XXV.

Le farfadet et le galibot

Après l’éclair qui l’avait abasourdi et projeté sur le sol, Gérard était resté un moment prostré assis devant la porte, portant la main à son nez, il avait senti quelque chose de collant et s’en était barbouillé la figure en voulant s’essuyer. Il s’était relevé à quatre pattes et avait rejoint la guimbarde sur le chemin avec l’intention de s’y reposer, il avait tiré sur les portes arrières, l’une après l’autre, même celle du coffre, il n’aurait pas eu l’outrecuidance de penser s’asseoir sur le siège avant, mais elles étaient fermées toutes les trois. Il s’était assis un moment sur une souche d’arbre et les esprits lui revenant il s’était dit que la meilleure des choses à faire était de rentrer à la ferme et de se coucher. Il allait se mettre en route quand il vit des phares jaunes, peu puissants, sautiller en rase-mottes sur la route en terre, il eut le réflexe de se cacher dans un fourré où il se tint accroupi. Il vit la petite voiture orange qui se garait derrière l’autre voiture rouge sang de bœuf. Deux hommes en sortirent et il entendit une voix grave qui disait : « attends … ». Il y avait apparemment une troisième personne dans la voiture. Le pommier continuait de pleurnicher. Gérard ne broncha pas et vit les deux autres qui s’approchaient de la cuisine, ils les vit s’activer et dresser l’échelle contre le mur, il la connaissait cette échelle, c’était celle de la ferme qu’il avait lui même transporté jusqu’ici avec le patron. Un moment plus tard, une demi-heure peut être, une portière arrière du véhicule orange s’était ouverte toute seule, comme par un esprit de nuit, un farfadet, elle s’était ensuite refermée de la même façon, doucement, sans enclencher la serrure. Gérard était encore quelque peu étourdi du coup reçu dans le nez quelques heures plus tôt et c’est comme dans un rêve qu’il vit une espèce de luciole, une fée, un lutin en jupe qui prenait sa douche sous la pluie de pétales de l’arbre à côté de la voiture rouillée qui s’était transformée en champignon amanite tue-mouche, l’apparition dansait sans toucher le sol. Gérard se souvint d’histoires entendues à l’orphelinat lors de veilles de dortoir en l’absence du surveillant ; il y avait disait on dans le coin des marais, aux anciennes carrières inondées, des phénomènes étranges la nuit. Le couple Dutertre chez qui on l’avait placé à l’âge de douze ans et chez qui il était resté après ses dix-huit ans, le lui avait confirmé et il y était allé quelques fois jusque là, mais seulement le jour. Il avait vu comme des murailles blanches, des murs de forteresses dans lesquelles étaient emprisonnés des géants attachés à des chaînes, on entendait le bruit des fers traînés sur le sol par grand vent. De l’eau suintait des parois et humidifiait à leurs pieds une étendue spongieuse qui bouillonnait ici et là sporadiquement en faisant des blubs qui sentaient, on entendait des bruits de succion qui laissait à penser que quelque chose qui respirait vivait là dessous, il arrivait d’ailleurs parfois que des cuvettes se vident d’un coup, comme d’un lavabo de salle de bain, on distinguait alors des êtres éphémères se glissant dans des interstices connus d’eux seuls, des visages tristes, souvent en pleurs, émergeaient quelques instants et puis disparaissaient comme des aquarelles saturées, et puis l’eau remontait on ne sait comment et le miroir vert se rendormait en songeant, soucieux et traçant quelques rides sur sa surface. Les parois même dissimulaient des passages obscures dans leurs fondations mais elles n’étaient visibles qu’à la fin d’un été sec, c’était de ces passages que sortaient les fées pour tracer leurs cercles sur le plateau de craie. Gérard pensa que le farfadet ou l’esprit follet qui dansait sous le pommier en venait, la preuve, les animaux s’en approchaient : un lapin, un vrai, marron et de grande taille, de celle d’un jeune kangourou, peut être attiré par les sautillements, s’était présenté et avait exécuté quelques pas de gaillarde avec lui, cela fit un bruit de tam-tam, il s’était ensuite éloigné sur le chemin de la Malcense comme pour l’inviter et l’autre, donc le fadet, le suivit joyeusement avec un rire de clochette, Gérard en fit autant mais d’assez loin car il avait eu peur de les effrayer et qu’ils disparaissent. Gérard distinguait parfois sous la demi-lune l’ombre du grand lapin, qui faisait des pauses, se tenant immobile comme un sphinx, les oreilles dressées, comme pour attendre son compagnon et puis subitement il obliqua à hauteur du sentier blanc, on l’appelait comme ça à cause de la craie grasse qui le striait, traces laissées jadis par le passage des charrettes qui transportaient les blocs de marbres découpés. Le fadet y disparut aussi et Gérard courut alors pour les rattraper, il connaissait le sentier, il descendait doucement jusqu’aux pieds des falaises blanches où s’étendaient les eaux glauques dans lesquelles on le voyait s’enfoncer vers une demeure inconnue. On racontait que des promeneurs l’ayant contemplé trop longtemps en avait été étourdis et, leur esprit se confondant avec le marais, s’étaient engagés sur le sentier et l’avait suivi jusque dans ses profondeurs. La terre de craie devenait aux abords de plus en plus molle et collante. Gérard y avait une fois trouvé le corps d’une biche restée collée dedans, l’arrière enseveli et le poitrail dehors. La tête sans yeux pendait sur le côté. On ne s’y aventurait jamais la nuit et c’est avec précaution que Gérard s’y engagea en posant les pieds bien à plat. Les buissons murmuraient doucement en remuant des branches blanchies de poudre de craie déposée par le vent un jour de temps sec et collée dessus par la pluie du jour suivant, certains bosquets ressemblaient à des toiles d’araignées géantes. Marie s’était arrêtée à quelques mètres de là, elle avait perdu le lapin et levant la tête vit une ombre large qui passait en planant sans bruit, on entendait des gargouillis moqueurs à droite et puis à gauche, des bruits de branches cassées, des ricanements étouffés et des chuchotements : – « Qu’est-ce qu’elle fait là cette petite fille ? Tu crois que ça se mange ? » Marie se dit qu’il était temps de retourner à la voiture et tourna la taille sans pouvoir décoller les pieds, elle tirait sur les genoux et ça faisait des « slurp ! » et des « pchiii ! » comme quand on boit le fond d’un verre de limonade, elle remua un peu plus en faisant des « Han ! » et s’enfonça jusqu’à mi-mollet, elle se mit à pleurer. Elle leva les yeux au ciel et revit l’ombre planante et silencieuse, la moitié de lune disparut une seconde et dispersa de nouveau son faible halo sur la surface verdatre des marais sur laquelle glissaient des mollusques boudineux. Elle voulut s’aider des mains en s’appuyant sur la croûte plâtreuse qui l’entourait mais elles s’enfoncèrent et y restèrent encastrées, en tournant la tête elle eu le temps de distinguer sur la berge des formes grises et poilues se dressant sur les pattes arrières pour l’observer de leurs petits yeux rouges comme des lueurs de cigarettes et agitant de leur croupion des lassos qui se tortillaient comme des lombrics. Elle cria et les falaises de craie lui renvoyèrent sa voix plusieurs fois, elle tordit le buste et s’enfonça encore un peu. L’ombre planante balaya de nouveau les eaux dormantes, éclipsa de nouveau la planète et une masse grise s’abattit d’un coup mais sans bruit sur la berge et reprit son envol emportant avec elle deux de ces incandescences rougeoyantes et disparut dans les branches d’un fourré et Marie se sentit alors à son tour saisie aux côtes comme par des serres puissantes et soulevée dans les airs; ses pieds sortirent de la vase avec un bruit de tire-bouchon et y laissèrent les chaussures, des grumeaux visqueux lui collaient au corps. Elle hurla et gesticula.
– « N’aie pas peur Mirabelle ! » Gérard avait pensé que Mirabelle était un joli nom pour une fadette de ce genre.
– « N’aie pas peur Mirabelle, je vais te ramener à ton arbre. » La voix était calme et les bras ne la serraient pas trop fort, le visage semblait noir mais les yeux scintillaient. Elle sut alors que c’était tout simplement un gardien de mésanges qui faisait sa ronde. Gérard lui fit faire le tour de son corps et la mit sur son dos.
– « Mets tes bras autour de mon cou pour ne pas tomber ! » Marie posa une joue sur le dos du maître des mésanges pour écouter son cœur battre, ils regagnèrent le chemin du bois Madeleine et Marie demanda à être prise sur les épaules pour mieux voir et Gérard s’exécuta. Arrivant de Montaban la petite voiture blanche et carrée de Marc progressait à vitesse modérée, il s’en était sorti facilement sans GPS, il s’en servait peu d’ailleurs dans le privé, pour lui le GPS, c’était comme les armes : uniquement en service. Les phares de sa voiture n’éclairaient pas plus loin qu’une cinquantaine de mètres mais il y avait un peu de lune et le ciel était clair. Il aperçu à distance, progressant en boitant sur le bas côté, une forme étrange, plutôt grande, en arrivant à sa hauteur il vit un homme aux habits de campagne un peu sales et au visage barbouillé et comme marqué de croûtes qui portait un petit enfant sur les épaules ; l’enfant chantait. Marc s’arrêta.
– « Vous allez loin comme ça ? »
– « Oui, on va jusqu’à la maison avec l’arbre qui pleure et on va ramener Pierre à la maison ! » La voix était familière à Marc, il descendit de voiture et les bras lui en tombèrent. L’homme qui portait l’enfant le regardait en souriant un peu niaisement mais pas comme un fou. Il observa l’enfant la bouche grande ouverte et celui ci répéta tranquillement :
– « Papa ! On va chercher Pierre ! »
Accourus à la voiture Jacques et Rachid avaient ouvert les portes et constaté l’absence de Marie, ils se regardaient sans un mot, Rachid secoua les portes de la vieille guimbarde roussie tachetée des pétales du pommier et se cassa un ongle, les mains de Jacques tremblaient. On entendit un bruit de moteur et les faibles lumières de la voiture de Marc éclairèrent le pommier, le pare-choc vint cogner un peu sur l’arrière de la voiture à Rachid. Marc descendit en laissant le moteur tourner et les phares allumés, il ouvrit la porte de derrière :
– « C’est de cet arbre dont tu parles Marie ? »
Elle descendit de la voiture et courut à pieds nus vers Jacques dont les cheveux semblaient avoir roussi, de la fumée s’en échappait, ses genoux s’entrechoquaient comme des boules de billard.
– « Marie ! Tu était où ? »

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