
Chapitre III.
Coco
Coco avait été surnommée Coco par ses anciennes copines de Lycée à cause de Chanel, et il est vrai que la maison de Coco plus proche de la côte, était pour ainsi dire sur la Manche, pas loin du tunnel et donc le surnom, même avec un seul N, convenait parfaitement. Fatima était une camarade de classe mais Coco avait arrêté sa scolarité à seize ans pour ainsi dire; même si elle avait été inscrite un temps à une école de couture dans une ville du Nord elle ne l’avait pour ainsi dire pas fréquentée, elle avait appris avec sa mère encore toute petite : ourlets, biais, boutonnières, fermetures et puis plus tard les patrons et la conception. L’école l’ennuyait, elle en savait trop, et puis elle aimait la maison de son enfance, elle aimait y vivre et elle pouvait y travailler avec les machines de Irène, elle les connaissait bien ces machines avec leurs défauts, elle les entretenait et réparait elle même. En les utilisant elle maintenait en quelle sorte sa proximité avec « maman reine » comme elle avait dit, avant, quand elle était petite et que sa maman était encore là. Elle n’était pas encore majeure à la mort de Irène et son grand-père maternel à qui appartenait la maison qu’il tenait lui même de son père avait exercé le tutorat pour quelques mois et puis Coco reprit à son nom la petite affaire de couture qu’elle baptisa « Cocoricomode ». C’est cette année là que Coco cessa de fréquenter l’école. À un peu plus de dix-huit ans Coco avait un passé. Un samedi de Novembre, deux ans auparavant, elle rentra pour le week-end après sa semaine à l’école de couture. Irène avait une cliente amie en ville qui hébergeait Coco dans la chambre de son fils : il menait sa vie maintenant dans une autre ville encore plus grande. Les posters du garçon étaient restés suspendus aux murs de la chambre et Coco s’amusait à feuilleter les revues abandonnées, quelques unes avec des femmes nues, mais aussi des sportifs, des footballeurs. Coco s’était liée d’amitié au Lycée avec Fatima, Fatimata Bint Abdelzaïd Alrayaru ben Allan Allrayath, elle aimait son calme et sa façon de l’écouter sans indiscrétion et de parler d’elle même, de sa mère, de son père, de ses frères, sans gêne mais sans exhibitionnisme. Fatima-ta avait pris l’habitude assez jeune de porter un grand madras en soie qu’elle prenait soin d’enlever en cours en le pliant soigneusement. Elle venait aux cours en baskets, pantalon et veste et n’en changeait pas beaucoup. Coco en parla avec sa mère et elles étudièrent ensemble des modèles arabes. Elles lui firent une blouse pour ses quinze ans, une de ces blouses qui tombent au dessus du pantalon presque jusqu’aux genoux. Le résultat plut à Fatima et à d’autres filles : Coco débuta sa carrière de couturière, on ne l’appela plus que Coco en laissant le Chanel au point d’en oublier son vrai nom, ils l’appelaient tous Coco, les professeurs témoins de la nouvelle mode vestimentaire dans leurs cours furent également contaminés et passaient du temps à rechercher son nom officiel quand ils devaient noter. Les commandes arrivèrent aussi de ce côté de l’estrade. Les deux filles se promenaient ensemble après les cours à la place et au centre commercial, elles se mirent à se noircir les cils et s’amusèrent du résultat : les garçons qu’elles croisaient les regardaient dans les yeux. Elles s’entraînaient à tenir le regard pour que ce soit eux qui baissent les yeux ou tournent la tête, elles en riaient parfois aux larmes et additionnaient les points dans un carnet comme d’autres les barbus , elles comptaient les garçons timides, ceux qui rougissent, par paquets de cinq traits dans le carnet, quatre traits droits et un en travers ; la compétition était serrée, un coude à coude et ça convenait à Coco. C’est Fatima qui emmena Coco au sport, elle voulait lui faire découvrir le judo. Les salles étaient intégrées dans un terrain de sport et on voyait souvent des jeunes gens courant sur le périmètre. Le judo ne fut pas son truc à Coco. Elle vit comment Fatima s’agrippait au kimono adverse, était immobilisée sur le sol, se dégageait, les jambes en l’air, avec des mouvements de ciseaux ; ce qui l’épatait c’était de voir les corps se tortiller tête à l’envers pour s’écraser sourdement sur le tapis comme des sacs de sable avec des bruits de presse de chantier et les filles se remettaient tout de suite debout après la chute, tout au plus renouaient elles la ceinture et se replaçaient les cheveux, Fatima, elle, les serrait dans un filet. Coco aimait bien regarder mais pas plus. Mais elle l’accompagna cependant plusieurs fois et un soir elle prit avec elle sa tenue de sport de l’école et se joignit aux filles qui couraient dehors. Il y avait aussi des garçons pour tout dire. Elle y prit goût et elle se mit à fréquenter l’autre stade, pas très loin mais de l’autre coté du canal, celui avec des couloirs de craie blanche tracés sur un sol rouge et l’entraîneur la persuada de s’inscrire au club : il avait besoin d’une relayeuse sur le quatre cents mètres. Au besoin on la mettait aussi sur le deux cent mètres. Et puis lors des championnats régionaux le relai du cent fut amputé au dernier moment de la finisseuse. On lui demanda de prendre sa place. L’équipe du quatre fois féminin avait pu se qualifier au petit trot : c’était la seule équipe complète car les autres clubs avait du faire appel à des sauteuses en longueur ou des coureuses de fond pour compléter. L’entraîneur joua fin et donna les instructions pour ménager à Coco le plus long parcours possible, elle prenait le premier relais et la deuxième ne devrait pas l’attendre. L’équipe accéda à la finale qu’elle remporta : son accélération finale sur les dix derniers mètres donnait à l’équipe l’avantage décisif aussi longtemps que les passages se passaient bien et le premier était impeccable grâce à la puissance des quelques mètres courus au-delà des cents. Le club lui en fut reconnaissant ; elle fit à cette occasion de nouvelles clientes de travaux de couture et même des garçons du foot lui passèrent commande de chemises, vareuses et même pantalons. Un samedi donc Coco pris congé de Fatima en milieu d’après-midi, descendit du train à Marquise et pris le bus de Montaban qui faisait un arrêt à la Malcense, elle faisait le reste à pieds. Elle trouva un mot de Irène sur la table, écrit au crayon de bois sur un papier de cahier d’école. Irène avait cette habitude, elle gommait parfois le mot précédent et périmé pour en écrire un nouveau. C’était leur messagerie à elles, le crayon et la gomme. Il n’y avait personne d’autres à la maison. Coco n’y avait jamais vu d’autre homme que son grand-père Paul qui avait récupéré sa fille Irène à l’âge de dix ans quand sa compagne dont il était séparé avait eu « une opportunité » comme elle disait et s’était déplacée aux USA. Paul était souvent en déplacement à cause des analyses d’eau qu’il menait sur plusieurs départements et Irène fut souvent seule le soir. Les restes du métier à tisser, qui dataient d’un aïeul de Paul, dans la partie atelier du rez de chaussez l’avaient intriguée et nourrissaient son imagination, elle se renseigna d’abord sur le textile, puis sur la confection. Il y avait aussi des outils à bois dans cette pièce et même des sabots, à moitié finis, le temps les avait patinés, presque des reliques. Elle eu quelques copains et fut mère à dix huit ans. Le copain s’évapora et Irène, après la tristesse et l’amertume en éprouva de l’aigreur et ne voulut d’homme à la maison que son papa à elle. Quand Coco eu quatre ans, mais on ne l’appelait pas Coco à l’époque, Paul déménagea en ville en leur laissant la maison. Ce samedi de novembre donc, Coco découvrit le message sur la table de la cuisine : Irène était en route chez une cliente de la côte, elle avait profité du déplacement en voiture d’une connaissance et serait de retour assez tard : « Ne m’attend pas pour manger ! ». Elle n’attendit pas et puis attendit quand même avec comme un serrement au ventre. Elle se résolut à se coucher, tard dans la nuit. Au petit jour elle entendit la voiture s’arrêter devant la maison et courut à l’entrée. Ce n’était pas Irène mais une petite voiture de police ; les deux agents, l’un un peu gros, l’autre un peu maigre, tous deux affables et calmes lui annoncèrent la mort de Irène : un camion de l’Est, comme ils disaient, égaré, qui avait voulu éviter à la fois le péage et l’embouteillage sur l’autoroute les avait percutés dans le virage du bois d’Abrizelle. Le procès serait long car l’entreprise n’était pas identifiable. Elle était restée dans la maison de Irène mais avait arrêté complètement l’école : sans loyer à payer elle pouvait vivre de la couture. Le Grand-père avait lui même laissé l’usufruit de sa maison à son unique fille, il en fit de même pour sa petite fille.
*
